Willy Barral

Psychanalyste - Ecrivain

 

Avant-Propos du livre, par Willy Barral

Affirmer que la théorie de Françoise Dolto est une théorie corporelle du langage, c’est se démarquer de tous ceux qui jusqu’alors n’ont voulu voir en elle qu’une clinicienne de génie et l’ont rayée, sans trop d’explications d’ailleurs, du rang des analystes théoriciens. Nous prétendons ici soutenir l’inverse en montrant qu’elle avait une génération d’avance sur ses contemporains, et que c’est aujourd’hui seulement que nous commençons à pouvoir tirer profit de sa conception théorique de l’Etre et du développement de l’enfant. Il faut tout d’abord préciser que F. Dolto a créé un concept, l’Image Inconsciente du Corps, pour pouvoir rendre compte d’une pratique analytique, celle avec les enfants, que ni la théorie de Freud, ni celle de Lacan, ne lui permettaient d’expliquer et de transmettre. Celle de Freud parce que la théorie freudienne ne remonte pas au-delà de l’Œdipe et n’explique pas comment accéder aux bébés et aux jeunes enfants avant l’Œdipe. Celle de Lacan parce que sa théorie du signifiant n’élucidait pas suffisamment, pour elle, la dimension énigmatique du désir inconscient qui s’exprime dans le corps d’affects par lequel les nourrissons nous comprennent et s’expriment, en résonance au langage des adultes tutélaires qui les accueillent à la naissance. Que ses contemporains aient éprouvé une certaine difficulté à pleinement saisir ce concept ne change rien au fait que F. Dolto est la première théoricienne à s’être donné un outillage conceptuel apte à rendre compte des paramètres de l’espace et du temps dans la symbolique du corps vivant. Il faut comprendre ici que si elle l’a créé, c’est tout d’abord pour elle-même et à partir de ce qu’elle percevait dans les dessins des enfants. Ce qui ne signifie pas qu’elle limitait la portée de son concept aux cures d’enfant: «Si je m’intéresse à l’image du corps que tout un chacun porte en lui, à chaque moment de son existence, réveillé, statique, fonctionnel ou endormi, expliquait F. Dolto, c’est parce que les images implicites que les adultes dégagent en parlant, m’ont été données explicitement par les enfants, soit par leurs dessins, soit par leurs modelages.» Elle expliquait cela à une époque où son œuvre avait déjà incontestablement modifié notre rapport culturel à l’enfant dans des domaines aussi divers que l’obstétrique, la pédagogie, le droit des mineurs, la puériculture, ou la compréhension des aveugles, mais où, dans celui de la psychanalyse des adultes, le concept organisateur de sa clinique, l’Image Inconsciente du Corps, restait obscur pour un très grand nombre de ses collègues. Plus récemment, la difficulté qu’ont rencontrée les auteurs du Dictionnaire de la Psychanalyse pour pouvoir donner une place conceptuelle à l’Image Inconsciente du Corps  qui puisse satisfaire l’ensemble des psychanalystes se réclamant de son œuvre, indiquait que cette question n’avait guère progressé depuis.


Comprendre ce qu’était pour F. Dolto l’Image Inconsciente du Corps, demande tout d’abord d’admettre que sa conception du sujet est assez différente de celle de Jacques Lacan. Pour J. Lacan, le sujet n’est jamais une donnée première. Il n’est ni localisable, ni désignable en dehors d’une opération impliquant des signifiants en relation avec d’autres signifiants, or la façon dont F. Dolto considère le sujet, se situe en amont de ce questionnement. Pour elle, la conception est déjà la manifestation du désir d’un sujet. Ce qui la préoccupe n’est donc pas tant le problème de l’origine du sujet dans son rapport au signifiant, que celui de son nouage au corps. Telle est la raison pour laquelle le point sur lequel son œuvre théorique et clinique rompt radicalement avec tout ce qui s’est dit et fait avant elle, part d’un constat, à première vue, banal: le fait qu’une parole vraie ne puisse être conçue comme indépendante du corps qui l’exprime.

Qu’entend-on par parler vrai à l’enfant, au patient qui nous est confié dans la dimension d’énigme toujours présente, quand il est question de vérité d’être et d’inconscient qui parle d’un désir vivant d’homme ou de femme? A cette question, F. Dolto répond qu’il s’agit d’un «désir qui en appelle à l’Autre à se faire entendre, reconnaître et aimer. Ce qui fait parfois un mot adultéré, un glissement de sens, peut devenir clé pour l’ouverture comme pour la fermeture de la communication entre conscient et inconscient, pour soi ou pour l’autre». C’est sur cette question du «parler vrai» à l’enfant que je l’ai rencontrée en 1970. A cette époque, je dirigeais une institution thérapeutique pour enfants psychotiques, et un jour où je regrettais le peu de formation clinique donné aux éducateurs, elle m’a engagé à créer un lieu de formation et de parole pour éducateurs et psychologues. C’est ainsi qu’est née l’association La Harpe-Enfant de Droit, qui assume depuis 1985 des actions de formation dans le domaine de l’enfance dite «inadaptée ».


En 1990, j’avais demandé à Marie-Claude Defores, Didier Dumas, Gérard Guillerault, Yannick François, Heitor O’Dwyer de Macedo et Juan-David Nasio d’animer avec moi l’un des séminaires de formation de notre association, afin d’y explorer ensemble le concept d’Image Inconsciente du Corps. L’expérience s’est renouvelée durant plusieurs années, et ce livre est issu du dernier de ces séminaires. Connaissant leurs travaux, je savais pouvoir trouver avec eux une certaine complicité rugueuse face à ce concept  aussi fluide que dense, et je n’ai pas été déçu du voyage. Je les en remercie car les questions théoriques dont nous avons eu à débattre ne sont pas simples. L’Image Inconsciente du Corps  est un concept que F. Dolto a créé de toutes pièces pour pouvoir rendre compte de sa pratique analytique avec les enfants, là où, pensait-elle, les concepts freudiens n’y suffisaient pas. Ce n’est toutefois pas un concept qui remet en cause la théorie freudienne. C’est un concept qui vise à l’adapter à la clinique des enfants, mais qui, ce faisant, nous en présente certains concepts clés sous un jour très différent de ce qu’en a dit Freud. Ce qui est, par exemple, le cas de la castration et de la pulsion de mort. Quant aux difficultés à allier la pensée de F. Dolto à celle de J. Lacan, il faut considérer qu’elles sont, tout d’abord, dues au fait qu’eux-mêmes n’y sont pas arrivés de leur vivant.

Le lecteur découvrira vite qu’aucun de ceux qui ont participé à cette recherche n’est dépourvu de prétention théorique. Il faut toutefois considérer que la théorie n’est pour aucun d’entre nous quelque chose qui s’acquiert sur un mode universitaire. Elle implique autant la cure personnelle que la pratique de chacun, et nous n’insisterons jamais assez pour dire qu’il existe une pratique de la théorie et qu’il faut pratiquer les concepts, les travailler et les pratiquer jusqu’à ce qu’ils se fassent chair, qu’ils s’installent peu à peu dans nos modes de pensée afin d’y devenir des outils adaptés à la quotidienneté de notre travail. C’est en quoi le caractère souvent hétérogène des diverses lectures que les uns et les autres font, ici, de ce concept me paraît prometteur, car cette hétérogénéité rend assez bien compte des questions que se posent actuellement les cliniciens d’enfants. C’est ce qui m’a engagé à en faire partager l’aventure à un plus large public que celui de La Harpe-Enfant de Droit et de son champ d’action, auquel ce texte était tout d’abord destiné.


F. Dolto affirmait que, dans sa pratique, l’inconscient de l’analysant avait toujours raison sur la théorie. C’est en ce sens que ce livre se réclame de son enseignement, et je souhaite vivement à ceux qui l’ouvriront, que ce «voyage théorico-clinique» dans le concept d’Image Inconsciente du Corps, leur permette de donner corps à ce concept, comme cela m’y a aidé moi-même.


Willy Barral

Pour expliquer et transmettre une clinique particulièrement intuitive, Françoise Dolto a repensé l’expérience analytique en créant le concept, central dans son élaboration théorique, d’image inconsciente du corps, que l’on peut définir comme la matrice corporelle, l’incarnation symbolique de l’identité du sujet, en place dès le début de la vie, bien avant les stades du miroir et de l’Œdipe.

Willy Barral est un de ceux qui ont très vite perçu l’intérêt de cette conceptualisation. Il a réuni autour de lui des praticiens qui tous, à des degrès divers, ont inscrit le concept d’image inconsciente du corps dans leur réflexion. S’ensuit une brillante variation sur ce concept majeur que chacun, à sa façon, illustre par d’étonnantes histoires de cas ou de précieuses réélaborations théoriques.

Willy Barral, Marie-Claude Defores, Didier Dumas, Yannick François, Gérard Guillerault, Heitor O’Dwyer de Macedo et Juan-David Nasio nous donnent ainsi la preuve, si besoin en était encore, de la fécondité d’une œuvre, de sa vitalité actuelle dans le champ de la psychanalyse.

(4e de couverture de l’ouvrage)


SOMMAIRE DE L’OUVRAGE


• Préambule

• Avant-propos, par Willy Barral


Une théorie corporelle du langage: ce que la subjectivité doit au corps à travers le langage , par Gérard Guillerault

Approche historico-clinique d’un dialogue possible entre Françoise Dolto et Gisela Pankow

sur la théorie de l’Image Inconsciente du Corps, par Heitor O’Dwyer de Macedo

Le visage humain n’a pas encore trouvé sa face, par Yannick François

L’architecture conceptuelle du système de pensée de Françoise Dolto, par Willy Barral

L’Image Inconsciente du Corps dans la mobilité corporelle et sexuelle de l’esprit, par Didier Dumas

La douleur, par Juan-David Nasio

La croissance humaine est une lente incarnation: l’Image Inconsciente du Corps peut-elle en rendre compte?, par Marie-Claude Defores

L’Image Inconsciente du Corps de l’analysant et du psychanalyste dans la cure: situer la place du corps de l’analyste dans la cure, par Willy Barral


• Notes bibliographiques

• Table des matières

Lien pour acheter ce livre sur Amazon

Extrait du livre: 
situer la place du corps de l’analyste 
dans la cureExtrait_Gallimard.html
Ecoutez l’interview de Willy Barral à propos de l’image inconsciente du corps dans l’émission “Les visiteurs du jour” sur RFI le 11 novembre 2008